Le savoir-faire des lissiers d’Aubusson

et la technique de la tapisserie

En 2009, la « tapisserie d’Aubusson » a été inscrite par l’Unesco au « Patrimoine culturel immatériel de l’humanité », dont le savoir-faire de ses lissiers.

Depuis six siècles, des tapisseries ont été tissées à Aubusson. Devenue Manufacture Royale au XVIIème siècle, par la volonté de Colbert, Aubusson doit sa renommée internationale à la technique du tissage sur un métier de basse lisse.

« Tradition pluriséculaire, l’artisanat de la tapisserie d’Aubusson consiste dans le tissage d’une image selon des procédés pratiqués à Aubusson et quelques autres localités de la Creuse (France). Cet artisanat produit des tentures généralement de grande taille destinées à orner des murs, mais aussi des tapis et des pièces de mobilier. La tapisserie d’Aubusson s’appuie sur une image de tout style artistique, préparée sur un carton par un peintre cartonnier.

Le tissage est effectué manuellement par un lissier sur un métier à tisser place à l’horizontale, sur l’envers de la tapisserie, à partir de laines teintes artisanalement sur place. Ce procédé exigeant implique un temps de réalisation et un coût importants. Les tapisseries d’Aubusson sont une référence dans le monde entier, au point qu’“Aubusson“ est devenu un nom commun dans certaines langues ».

Extrait du texte de la notice du classement – Site Unesco – PCI.

Le lissier

Le lissier est l’artisan qui exécute le tissage d’une tapisserie sur un métier à tisser. Son nom provient du terme “lisse”, qui désigne une cordelette formant une boucle, fixée sur chaque fil de chaîne tendu sur le métier pour le relier, par l’intermédiaire de la barre de lisse, à une pédale, dite  “marche”, actionnée avec les pieds.

La technique

Sur le métier à tisser est monté une chaîne de fils coton tendue entre deux rouleaux, dits « ensouples ». Cette chaîne, plus ou moins dense en fonction de la finesse du tissage à exécuter, est formée de deux nappes de fils pairs et impairs, reliées chacune à une pédale (dite marche) abaissées en alternance pendant le tissage. Sous la chaîne est ensuite glissé le « carton » (cf focus), tracé à l’échelle réelle de la tapisserie. Il comporte toutes les indications de couleurs et de formes pour servir de guide à l’exécutant, le lissier.  Ce dernier travaillant sur l’envers de l’œuvre s’aide d’un miroir pour suivre et contrôler la qualité de son tissage.

Le travail du lissier

Le lissier façonne la trame de la tapisserie en passant ses flûtes (petits cônes de bois sur lesquels sont enroulés les laines de couleur) entre les deux nappes de fils de chaîne écartées alternativement avec les pédales du métier. Contrairement à un tissu où avec une navette, on réalise une ligne complète sur toute la largeur, le lissier réalise sa tapisserie motif par motif. Avec le peigne et le grattoir, il égalise et tasse fortement la trame sur la chaîne au fur et à mesure du tissage, de manière à recouvrir la chaîne de coton et à la cacher visuellement. Avec dextérité, le lissier utilise toutes sortes de croisement de fils pour relier ensemble les différentes formes et  couleurs, dont la plus connue, formant hachures, est nommée battage.

C’est un métier manuel qui exige un savoir-faire très qualifié et nécessite un temps très long de réalisation. Pour réaliser 1 m2, il faut compter en moyenne par lissier un mois de travail sur le métier, sans compter le temps de préparation, dont le montage de la chaîne et celui des finitions, dont la couture.

Le lien entre le lissier et l’artiste : le carton de tapisserie

« Tout est une question de justes rapports et d’honnêteté, non pas de compétition vaniteuse, mais de respect mutuel pour le plus grand profit d’une œuvre commune. » Jean Lurçat

Les tapisseries sont le fruit de cette collaboration étroite entre l’artiste et l’atelier de tissage. Le travail d’interprétation textile de l’œuvre de l’artiste est l’expression du savoir-faire du lissier et de sa compréhension de l’intention artistique.

L’artiste propose, en guise de maquettes, ses propres créations, aux formats les plus divers. À partir de la maquette, il faut réaliser le carton de la tapisserie qui servira de guide au lissier. Tracé à l’échelle 1/1 de la future tapisserie, le carton peut être une peinture, un dessin de la main de l’artiste et depuis les années 1960, un agrandissement photographique.

En parallèle, sont fait des essais de tissage,  des propositions de matières, de couleurs ; la finalisation de la palette est concrétisée par un chapelet de laine.

Les tapisseries  anciennes étaient réalisées à partir d’un carton peint qui donnait une certaine marge de manœuvre aux lissiers dans l’interprétation de l’œuvre. Pour mieux contrôler le résultat final, Jean Lurçat met au point dans les années 1930, le principe du carton numéroté fondé sur un code de couleurs, celles de laines teintes.  Dom Robert fait le choix du carton numéroté. La plupart de ses cartons sont dessinés en noir et blanc, avec des codes de couleurs reportés sur les formes, motifs ou fonds et quelques rehauts d’aquarelle.

La tapisserie étant un art multiple, le carton est pour l’artiste un support évolutif. Ceux de Dom Robert comportent fréquemment des repentirs, des retraits ou des apports de formes et de sujets pour améliorer le tissage suivant.

 

 

 

La tapisserie aujourd’hui – un art vivant

Si la laine et la soie restent les matières de prédilection de la tapisserie, aujourd’hui toutes les expérimentations de matériaux et d’usages sont imaginables. La seule nécessité étant que ces matériaux restent “tissables” (fils métalliques, fibre optique…).

La Cité de la tapisserie d’Aubusson a renoué en 2010 avec la tradition de tissage de grandes tentures tout en proposant une nouvelle formation de lissiers.  Ainsi, à la réalisation récente d’une suite de treize tapisseries d’après l’œuvre du grand écrivain JR Tolkien, succède en 2021 le tissage d’une série de tapisseries d’après l’œuvre du cinéaste japonais, Hayao Miyasaki.

Parallèlement, depuis 2010, la Cité lance annuellement un appel à création contemporaine, en finançant et acquérant le tissage de l’œuvre lauréate : ainsi des artistes contemporains aussi différents dans leurs expressions que les argentins, Leo Chiachio et Daniele Gianone ou Pascal Haudressy ont pu faire leur début dans ce medium.

Le réseau TRAMES

Pour transmettre l’histoire de ce savoir-faire et le promouvoir, en 2011 est né le réseau Trame[s] – Tapisseries en massif central, réseau créé par la Cité de la Tapisserie (Creuse), le Musée Dom Robert, le Musée de Lodève (Hérault), l’atelier-Musée Jean-Lurçat (Lot) et l’Abbaye de La Chaise-Dieu (Haute Loire). Des programmes de recherches, des expositions, des échanges d’œuvres sont au cœur de ses activités, en relation avec d’autres grandes structures muséales qui possèdent des collections de tapisseries, comme le Mobilier national, à Paris.